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Nous avons tous en mémoire ce projet qui a mobilisé l’ensemble de notre société.
• Avons-nous réellement atteint l’objectif de perfection qui nous était désigné ?
• Comment cette recherche de la qualité totale s’est-elle poursuivie au cours des années suivantes ?
• Quel est aujourd’hui l’état des lieux en ce qui concerne la qualité ?
Ces questions et quelques autres méritent réponse, et au moins, débat.
Un article paru en juin 1997 vaut peut-être d’être versé au dossier. Il porte un titre provocateur : « I’m the Guru who was Wrong », et contient des propos recueillis de la bouche de Philip Crosby, le célèbre auteur du livre fondateur « Quality is Free » qui nous a guidés dans la mise en place de « Performance Plus. »
Voici ce texte :
I'm the Guru Who Was Wrong |
Par Jeannette Cabanis (PM Networks. Juin 1997) |
Traduction par Michel Stein |
Je suis le gourou qui s'est trompé |
« Le premier abruti venu » peut apprécier la différence entre, d'un côté, le tas d'immondices constitué par le TQM (*) et l'imbécile Prix Baldridge (**), et de l'autre, les principes de la Qualité : Après 40 ans et plus au service de la Qualité, Philip Crosby trouve encore son plaisir à jeter du sable dans les rouages bien huilés de la pensée conventionnelle.
« Le zéro défaut est atteignable! » déclara Phil Crosby. « Dans le monde entier des gens le pratiquent couramment. » Cette affirmation, accompagnée du sourire espiègle d'un homme qui s'est fait une spécialité des propos iconoclastes, fut prononcée devant une table couverte des restes du repas qui venait d'être dégusté. Ce petit restaurant à la mode, proche du domicile estival de Crosby, dans les montagnes de Caroline du Nord, servit à point nommé d'exemple à l'appui de cette thèse.
« Prenez simplement ce lieu. » Il désigna la pièce d'un geste. « Y avait-il quoi que ce soit à reprocher à ce repas ? Nourriture, service, présentation - Tout était parfait. Un projet modeste mené à bien, dans les temps, sans dépassement de budget, et à la satisfaction totale des clients. Quiconque prétend que le zéro défaut est une douce rêverie n'a guère eu l'occasion, ces temps-ci, de visiter les bons restaurants. »
« Il est probable que 90% des choses qui sont faites le sont correctement », poursuivit-il. « Je vais à un distributeur de billets, j'introduis ma carte, je demande 200 $, on me donne 200 $ et mon compte bancaire est débité d'autant. Aucun problème.»
Cependant, malgré la notoriété de ses idées à propos de la Qualité (voir le hors-texte), le nom de Crosby n'est généralement pas considéré, parmi les théoriciens de la démarche Qualité, comme la référence suprême. Le Magazine « Quality Digest » a passé sous silence la réédition de son ouvrage fondateur Quality is Free (McGraw-Hill, 1975) et son nom apparaît rarement dans les manuels traitant du sujet. Pour quelle raison ? Eh bien, Crosby a son idée là-dessus… En fait, ce révolutionnaire de la Qualité, affable et au parler franc, a son idée sur à peu-près tout. En voici un échantillonnage :
A propos de la démarche Qualité
On entend beaucoup de discours au sujet de la qualité, et pourtant chaque fois que vous achetez un produit ou que vous faites appel à un service, il se révèle décevant. Est-ce que nous progressons ou est-ce que nous régressons ?
C'est mieux que cela n'était, parce que la gestion opérationnelle a pris conscience qu'il est nécessaire de prendre en compte la notion de qualité. Nous avons, en particulier, beaucoup progressé dans la définition des nouveaux produits.
Le principal obstacle à la qualité tient aux professionnels de la qualité eux-mêmes. Ils se chamaillent entre eux à propos de tel ou tel projet anodin et écrivent des livres qui ressassent des idées reçues et présentent des données statistiques sans intérêt. Ils ne cherchent même pas à comprendre ce que j'ai écrit dans mon livre (Quality is still free, McGraw-Hill, 1996), à savoir que le business c'est de la transaction et de la communication. Tout ce que nous avons besoin de savoir c'est quelle transaction nous sommes censés effectuer et dès lors, la faire bien. Et, en même temps, aidons nos fournisseurs et18 nos clients à réussir. C'est tout ce que vous avez à faire : La fonction de la qualité se limite à cela. Mais ils se prennent les pieds dans des tâches médiocres – comme l'imbécile Prix Baldridge. Les gens finissent par se rendre compte que postuler pour cette certification ne mène nulle-part. Vous pouvez obtenir le prix mais n'en attendez aucune considération parce que c'est de l'auto-distinction. C'est pourquoi les candidats se font chaque année plus rares. Rendez-vous compte : peut-être 50 candidatures, alors qu'il y a 7 millions de sociétés dans notre pays.
Ils ont repris ma sympathique petite idée de démarche qualité et en ont fait une poubelle. La démarche qualité, ce sont des principes. TQM (*), ce sont des procédures. Tout le monde apprécie les procédures parce qu'elles se prêtent à la mesure : qu'elles apportent ou non des résultats ne fait aucune différence… Par contre, si vous vous fiez à des principes, alors, vous allez devoir entrer dans le vif du sujet et aborder les problèmes difficiles. Les principes sont des vérités qui s'appliquent à toutes les situations. Mais nous préférons appliquer des procédures dans un monde gouverné par des principes.
Dans les manuels de gestion, votre nom n'est généralement pas cité parmi les gourous de la qualité. Qu'en est-il, selon vous ?
En fait, je suis dans la liste, sauf que je suis désigné comme le gourou qui s'est trompé !
Non. Les universitaires n’aiment pas mes livres parce qu’on n’y trouve pas de graphiques. Ceux qui
s’intéressent à ma
pensée sont des « managers », des gens
qui sont chargés de
produire quelque chose.
Ils ont besoin de savoir :
que puis-je faire pour
que tout ce qui sort de
chez moi, que ce soit
dans une enveloppe,
dans une boîte ou sous
la forme d’une
prestation de service,
soit exactement ce que
cela est supposé être,
exactement.
Du fait peut-être de votre style d’écriture et d’expression, on vous a qualifié de « marchand de qualité. » Que pensez-vous de cette appellation ?
Ce n’est pas si péjoratif. Ma caractéristique, c’est que les gens peuvent me comprendre. A la différence de certains, je parle de choses concrètes. Mes quatre exigences qualité fondamentales - Conformité aux spécifications, Prévention, Objectif zéro défaut, et Coût de la non-conformité pris comme critère de réussite - n’importe quel « bas de plafond » peut les comprendre. La raison du si grand succès de Quality is Free est que le livre a repris ce thème de la Qualité, dont on avait fait un salmigondis, et l’a converti en langage clair. Voyez-vous, moi-même je n’y entendais rien. J’ai passé des années au cœur du sujet sans jamais comprendre de quoi diable il était question. Finalement, j’ai laissé tomber toute cette histoire de qualité et je suis devenu dirigeant chez ITT. J’ai supervisé le système mondial de qualité au sein d’ITT et nous avons réussi. Dans l’ensemble de la société, tout s’est amélioré. Plus de profitabilité. Dans le livre, je me suis contenté d’expliquer aux dirigeants comment il fallait s'y prendre.
Tout le secret, voyez-vous, est dans la disposition d'esprit. Si vous êtes convaincu qu'une voiture bleue ne peut pas exister, et que quelqu'un vous en présente une, vous êtes obligé de nier que cela19 puisse être une voiture bleue, pour la raison que vous n'y croyez pas. Le bon sens populaire dit qu'une telle chose n'existe pas.
C’est ainsi que, lorsque vous vous adressez aux adeptes des statistiques ; comme, statistiquement, zéro n’existe pas, ils partent du principe qu’un certain nombre de produits doivent être défectueux, qu’il est impossible d’arriver au zéro. Cette façon de penser détermine la norme. Du coup le management affirme : « Des voitures sans défaut nous conduiraient à la faillite tant nous aurions de contrôles, de reprises et ainsi de suite. » Très bien, j’intervenais alors et expliquais, « Non, il vous suffit d’apprendre à faire le foutu machin comme il faut. » C’était un tel choc culturel, que je suscitais l’intérêt de mes interlocuteurs. Et comme je suis un orateur doué, les gens me prenaient pour un commercial. Cela dit, nous sommes tous des vendeurs, si vous ne vendez pas vous-même vos idées, qui donc le fera ?
Vous avez des opinions bien arrêtées sur le lien entre la qualité et la satisfaction du client.
L'idée que des spécifications doivent être définies par le client est absurde. Voyez la réalité des faits. Comment obtenez-vous cela du client ? Vous abdiquez toute responsabilité en faveur d'un mystérieux groupe d'individus appelés clients, qui ne savent pas toujours ce qu'ils veulent. Une célèbre étude de marché menée par les industries électroniques des Etats-Unis posait la question suivante : si nous vous fournissions une machine dans laquelle vous introduiriez une feuille de papier et qu'une copie de ce document apparaisse alors sur le bureau d'un correspondant quelque part, est-ce que vous l'utiliseriez ? Le résultat fut « Non, qui donc voudrait d'une chose pareille ? » Les japonais n'en sont pas restés là et ils ont fabriqué des fax. Aujourd'hui tout le monde a un fax, qui pourrait se passer d'un fax ? Mais rares sont ceux qui sont fabriqués aux Etats Unis. Dans cet exemple, on a demandé au client ce qu'il souhaitait, et celui-ci n'a pas compris l'intérêt de l'application. Il arrive aussi que les clients changent d'avis : ils ne sont pas fiables. C'est pourquoi, quand on me dit que le client a dicté des spécifications. Je demande à voir ces spécifications, pour comprendre de quelle façon elles ont été élaborées.
De plus prendre comme objectif la satisfaction d’un client est courir à l’échec, parce que c’est toujours votre client le moins satisfait qui s’épanche. Vous demandez au chœur ce qu’il pense de l’église.
Vous pensez donc que la démarche qualité s'est fourvoyée.
Eh bien oui. Tenez, quand j'ai démarré l'Association Phil Crosby en 79, tout le monde était désespéré, aucune méthode qualité ne fonctionnait. Alors des sociétés comme Milliken ont réuni leurs fournisseurs et leur ont dit : « Inscrivez-vous à l'Ecole Qualité de PCA, (***) et livrez-nous des marchandises qui nous permettent de travailler ». Lorsque les choses ont commencé à s'améliorer, la direction a pris du champ et a déclaré : « Il est temps maintenant de faire à nouveau appel aux professionnels de la qualité », et ils sont revenus à des niveaux de qualité acceptables et à Six Sigma20 (méthodologie qualité élaborée par Motorola dans les années 80). Le résultat, c'est qu'aujourd'hui, vous avez des voitures qui sont presque sans défaut mais pas tout à fait.
Cela dit, je ne désapprouve pas le progrès continu… Je pense que c'est un bon projet, si l'on est prêt à lui consacrer une vie entière. Mais cela ne correspond pas vraiment à ce que les gens attendent du « Progrès Continu ». Ils pensent que si on laisse choir huit bébés cette semaine, on n'en laissera tomber que sept la semaine prochaine et six la semaine suivante, après quoi on postulera pour le Baldridge (**) parce que les pourcentages auront bonne allure. C'est une bonne façon de ne pas atteindre le zéro défaut.
A propos de la synergie de groupe… Dans votre livre, en ce qui concerne le travail en équipe, vous semblez réticent. N'est-ce pas en contradiction avec l'importance que vous attachez aux bonnes relations dans le travail ?
Avez-vous déjà assisté à une réunion de travail ? Combien de personnes prennent la parole ? Je n'ai jamais vu un groupe résoudre un problème. Le plus souvent, les vrais problèmes sont d'une nature tellement politique que personne n'ose les mentionner pendant la réunion.
Quelle est la solution à cela ?
Il faut que vous laissiez les gens agir par eux-mêmes. Plus vous organisez, plus cela devient politique
et moins les choses avancent. Voici un exemple : quand je suis entré à ITT, ils m'ont envoyé à Porto
Rico pour inspecter une usine de fabrication que nous avions là-bas. Je ne suis pas un expert en
téléphonie, mais j'ai bien vu qu'ils fabriquaient quelque chose dont personne ne voulait. Il n'y avait
pas de marché. Mais, à New York, un vice-président exécutif y croyait. Je suis donc rentré à la maison
et j'ai écrit un mémo qui disait qu'il serait peut-être préférable de faire une croix sur ce produit et de
faire à la place quelque chose que
quelqu'un pourrait nous acheter. Je ne
l'avais pas plus tôt envoyé que je vois
débarquer en trombe dans mon bureau
le VIP - que je ne connaissais pas - et
je lui dis : « Voilà, je suis désolé de
vous contredire, mais l'objet n'a
aucune utilité, ils [à Porto Rico] sont
tous de cet avis. » Mais personne, là-
bas, n'aurait pris la parole pour le dire.
En fait, vous avez besoin de gens qui ne subissent pas de pressions et qui peuvent dire les choses telles qu'elles sont. C'est comme cela que le business de la Qualité a réellement commencé à exister. L'idée, c'était d'avoir des gens compétents, capables d'évaluer les choses, qui puissent vous alerter lorsque le processus est sur le point de dérailler, et qui soient écoutés.
Harold Green de ITT prétend que la synergie, c'est du bidon. Je suppose que vous n'y croyez pas non plus ?
Si vous prenez un groupe et que vous lui confiez une tâche, par exemple : « De quelle façon pouvonsnous améliorer le service dans ce restaurant ? », ils ont une chance d'y arriver, mais s'il s'agit d'un concept totalement nouveau dans la restauration, non. Les idées innovantes sont le fait d'individus. Vous n'obtenez pas beaucoup d'idées innovantes de la part d'un comité, à moins qu'il y ait parmi les participants un individu qui lance ces idées.
Si vous observez un groupe, vous trouverez une ou deux personnes qui jouent le rôle de maître à penser. Les groupes ont leur utilité, mais regardez le passé, prenez toutes les grandes avancées de l'histoire, chaque fois, c'est un individu qui en est à l'origine. La Déclaration d'Indépendance porte de nombreuses signatures, mais c'est Thomas Jefferson qui l'a écrite.
Cela dit, beaucoup de grandes idées sont le fruit de la pensée d'individus mais ceux-ci ne sont pas toujours capables de les mettre en application. Il nous faut donc quelqu'un qui soit à la fois un innovateur et un réalisateur. C'est une combinaison rare : une personne qui a des idées et qui fait ce qu'il faut en pratique pour en tirer parti.
Si vous vous intéressez à ceux grâce auxquels les choses avancent - qui font en sorte que les actions
adéquates soient accomplies-vous constatez qu’une très petite proportion des gens mettent réellement
la main à la pâte. Il y en a beaucoup dont
personne ne s’apercevrait de l’absence s’ils ne
revenaient pas travailler. Environ la moitié. Ce
n’est pas du cynisme, c’est tout simplement la
réalité. Vous demandez à quelqu’un d’accomplir
une tâche, après quoi vous êtes obligé de le
relancer. Les gens se préparent, ils se mettent en
devoir de faire, ils planifient, cela prend un
temps infini.
Il y a de nombreuses années, je faisais partie d’un groupe chargé des actions correctives, et rien n’aboutissait. Aussi, après quelques réunions, j’ai décidé de me remuer et j’ai commencé à m’attaquer aux problèmes. J’identifiais les responsables, je prenais connaissance du sujet, je leur demandais d’agir en conséquence et je faisais en sorte qu’ils le fassent. En un rien de temps il ne resta plus aucun problème en suspens. Je fus abondamment sermonné par mon supérieur, j’avais « court-circuité le système. » Il n’y a pas de systèmes ! Les gens écrivent des notes pour organiser des systèmes, mais dans la réalité il y a que des personnes, qui s’attaquent individuellement aux problèmes, et qui renversent les obstacles.
A propos de la conduite des projets…
La direction de projet, c'est comme la direction de la qualité, c'est à la fois plus et moins que ce qu'on raconte… En suivant la méthodologie, tel projet a été mené à bien dans les temps, sans dépassement de budget, et a bien fonctionné. C'est l'idée générale… Mais, ce faisant, vous vous compliquez la vie et vous vous professionnalisez. En réalité, il n'est pas nécessaire d'être un professionnel pour mener un projet. Dans presque tous les métiers, les professionnels ne font que compliquer les choses.
Par exemple, chez Martin Marietta, toute une salle était réservée aux diagrammes PERT qui étaient censés nous dire quoi faire, comment prendre les bonnes décisions, etc. Le problème, c'est que cette salle était toujours fermée à clef. Un jour, nous avions un problème sur les bras, et nous avons voulu consulter les plannings. Impossible d'entrer et impossible de mettre la main sur le type qui était habilité à ouvrir la porte. Nous étions donc là, le responsable du planning, le type de la fabrication et le développeur, debout dans le hall, et nous avons débattu entre nous de ce gros problème. Alors j'ai pris la parole, « OK, vous pouvez faire ceci, moi je ferai cela », nous avons discuté pendant une22 minute, puis nous nous sommes séparés et nous avons résolu le problème. Plus tard, je suis repassé devant la salle du PERT et c'était toujours fermé. A quoi sert cette fonction ? Me suis-je dit. Il ne viendrait à l'idée d'aucun responsable de projet de venir chercher ici une assistance. Vous voyez, c'est comme je vous l'ai dit, dans la réalité, le travail se fait en dehors du système. Le système est là pour le décor.
A propos de la gouvernance…
Parlez-nous de votre nouveau livre (The Absolutes of Leadership, Pfeiffer, 1996)
J'étais en train de donner une conférence en présence d'un groupe de PDG lorsque quelqu'un me posa cette question : « Qu'est-ce qu'un dirigeant doit se préparer à affronter au XXIe siècle ? » Et, impromptu, il me vint à l'idée qu'il aurait besoin de quatre éléments :
• Un agenda (organisationnel et personnel)
• Une opinion philosophique personnelle concernant la gouvernance. Pas le dernier bouquin ou la dernière idée à la mode (ce que Dilbert appelle « le cadavre de marmotte sous le porche » ). Mais quelque chose de pensé. Il y faudrait une réflexion sur la finance. La mienne, c'est que la finance est un aliment, et non un mécanisme de gestion. Vous en nourrissez votre entreprise. Et aussi une philosophie personnelle au sujet de la qualité. La mienne est fondée sur la prévention. Vous ne devez pas accorder foi à ce que les spécialistes de la qualité vous diront, par exemple que « Le dernier cri, cette année, c'est ISO 9000. On obtient la certification et c'est plié ». Quiconque croît cela mérite tout ce qui va lui arriver. Enfin, il lui faut une philosophie des relations personnelles. La mienne est qu'il faut aider nos employés, nos fournisseurs et nos clients à réussir.
• Il lui faut aussi mettre en place un réseau de relations solides. Laissez-moi vous donner un exemple : je traite tout le monde de la même façon. C'est juste ma façon d'être, je m'adresse au portier comme je m'adresse au président et comme je m'adresse à tout le monde. Témoin cette réception pour mon 70e anniversaire, 300 personnes sont venues, pour la plupart des ex-employés auxquels je n'ai rien à apporter, mais notre amitié est à toute épreuve.
• Enfin, il doit avoir l'esprit tourné vers l'international. Etre à l'aise dans une négociation, quel que soit l'interlocuteur et quel que soit le contexte. Nous sommes dans une véritable économie mondiale, mais la plupart des gens ne s'en rendent pas compte. J'ai fait un exposé devant un assortiment de directeurs d'école à Orlando, il y a quelques semaines et je me suis dit : bon, autant leur en donner pour leur argent. Je leur ai donc expliqué que le monde de l'éducation en 1996 me faisait penser à l'industrie automobile en 1966. Ils sont convaincus d'avoir toutes les réponses, ils savent comment faire et que ce n'est qu'ici qu'on peut recevoir une bonne éducation…
Pourtant, si vous réfléchissez à ce qu'il est possible de faire grâce à l'électronique, il n'y a aucune raison de confiner les gens dans une salle de classe pour leur dispenser un enseignement. Si vous considérez l'Asie et ses 3 milliards d'habitants, dont la moitié ont moins de 25 ans… Quel marché !
A l'international, vous vous confrontez à des gens différents et à des cultures différentes. J'ai eu àA l'international, vous vous confrontez à des gens différents et à des cultures différentes. J'ai eu à faire à de nombreuses sociétés où l'on trouvait une audience composée de 40 hommes blancs, en surpoids, et aux cheveux gris. Ces types vont se retrouver au chômage, parce que, quand vous avez faire à de nombreuses sociétés où l'on trouvait une audience composée de 40 hommes blancs, en surpoids, et aux cheveux gris. Ces types vont se retrouver au chômage, parce que, quand vous avez tous le même look, pensez pareil, avez le même handicap au golf et que vous sortez des mêmesécoles, vous ne savez rien de ce qui se passe dans le monde.
Ces quatre éléments, ce sont pour moi les bases de l'exercice de l'autorité. Pour le reste, vous devrez acheter le livre.
A propos de la « projetisation » (****) du monde…
S'il est une chose que les grandes sociétés ont du mal à pratiquer, c'est reconnaître le talent. Peut-être, selon moi, n'y aura-t-il bientôt plus de grandes sociétés.
Par quoi seront-elles remplacées ?
Des petites sociétés. Au-delà de 200 personnes, vous ne pouvez plus vraiment diriger. Lorsque j'ai
quitté PCA, nous étions 320, répartis à travers le monde. J'ai renoncé à connaître tout le monde,
c'était devenu trop lourd.
Je crois que la bonne idée, c'est de créer des « Business Units » qui sont en fait des projets. Si vous
créez des « Business Units » autonomes, vous pouvez gérer chacune d'entre elles comme un projet.
Comme elles ne sont pas appelées à disparaître, vous devrez assurer un flux continu d'idées nouvelles
et de produits, et vous-même ne serez jamais prisonnier d'un mode de fonctionnement unique.
A propos des erreurs stupides que commettent les sociétés…
IBM, Xerox, GM : toutes ont eu des problèmes dans les années 70 parce qu'elles se figuraient qu'elles faisaient le marché. La leçon a été dure. Le plus drôle, c'est que c'était facile à prévoir. En 1968 déjà, j'ai eu l'occasion de discuter avec les représentants de l'industrie automobile et je leur ai annoncé ce qui les attendait - A savoir, qu'ils allaient perdre des parts de marché au profit des constructeurs étrangers, que les clients allaient se rebeller parce qu'ils fabriquaient des voitures de merde, qu'ils traitaient mal leurs distributeurs - Ils ne m'ont pas hué ni conspué, mais ils se sont empressés de se débarrasser de moi. Pourtant, tout cela s'est effectivement produit !
Comment expliquez-vous ce refus de l'évidence qui, semble-t-il, nous affecte tous ?
Barbara Tuchman a écrit un livre, The March of Folly, sur ce sujet précis. Selon sa définition, le mot folie s’applique lorsqu’il est évident que c’est la mauvaise façon de procéder, qu’il y a de nombreux moyens de faire autrement, que les solutions ne sont pas très compliquées, mais que néanmoins, on choisit délibérément de ne pas les appliquer.
Je suppose que la nature humaine est ainsi faite. Les gens ont souvent des idées totalement fausses,
par exemple que les voitures bleues n’existent pas…
Ce que je peux dire, c’est que la Quality Management Foundation, en Inde est en train de mettre toutes mes idées dans un CDROM… peut-être qu’un jour quelqu’un y jettera un œil et trouvera que j’ai raison, après tout !
(*) Total Quality Management
(**) Malcolm Baldrige National Quality Award : Prix
récompensant la maîtrise de la qualité dans les organisations
américaines.
(***) Phil Crosby Associates
(****) Dans le texte : « projectizing », néologisme désignant
une organisation basée sur la notion de projet.
Photographie : Portrait de Philip Crosby avec la légende : rompre des lances pendant 40 ans avec les idées convenues sur la qualité et l’exercice de l’autorité n’a pas émoussé la combativité de Philip Crosby.
Vous ne croyez pas au zéro défaut ? La norme de qualité de Crosby qui vise rien de moins que la perfection suscite bien des objections dans la communauté des théoriciens de de la qualité. Mais, en pratique, elle prévaut peut-être plus souvent que vous ne le croyez. Lisez les chiffres publiés par Industry Week (3 février 1997) : Même 99,9% de réussite laisse un champ libre considérable à l'erreur. Si on se contentait de 99,9 %, alors :
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Commentaires du traducteur (Michel Stein) :
Je voudrais tout d'abord m'excuser auprès du lecteur pour les nombreux défauts que les puristes ne manqueront pas de relever dans cette traduction. Je sollicite leur indulgence, il n'est pas toujours facile de respecter à la fois la lettre, le fond et le style.
Je vais maintenant sortir de la neutralité qui sied à mon rôle, et endosser le costume du lecteur critique pour vous faire part des réflexions que ce texte m'inspire. J'ai quelques scrupules à le faire, parce que je risque d'influencer le lecteur, ce qui ne serait pas très fair-play vis à vis de l'auteur. Aussi, je demande au lecteur de bien vouloir lire l'article et se faire une opinion personnelle avant de prendre connaissance des commentaires qui suivent.
Tout d'abord, un compliment : l'article est polémique, certes, mais, peut-être à cause de cela, on ne s'ennuie à aucun moment. On comprend que l'auteur est aussi un conférencier très demandé, il se qualifie lui-même d'orateur doué, et je le crois volontiers.
Le titre est trompeur : l'opinion qu'il reflète n'est nullement celle de Phil Crosby, c'est celle de ses détracteurs. Phil Crosby n'est d'ailleurs pas tendre avec eux, il suffit pour s'en convaincre de lire le sous-titre.
On ne trouvera donc dans cet article aucun mea culpa. Bien au contraire, il est tout entier consacré à la célébration des idées de l'auteur, à propos de la qualité, bien sûr, mais aussi dans beaucoup d'autres domaines.
S'il est une chose que Phil Crosby possède en abondance, ce sont les certitudes ; et, en bon gourou qu'il est, il nous les prodigue avec
générosité. On cherchera en vain la
moindre trace de doute et la
modestie ne fait pas partie de ses
défauts.
Le thème principal, c'est bien entendu la qualité, et Phil Crosby nous fait participer au combat qu'il mène pour les idées contenues dans son livre (Quality is free, McGrawHill, 1975), dont nous avons tous entendu parler à défaut de l'avoir lu. J'avoue moi-même ne pas l'avoir relu, aussi, à tort peut-être, mes commentaires sont exclusivement basés sur le texte du présent article.
Mon sentiment général est que Phil Crosby est plus à l'aise dans l'imprécation que dans la démonstration. Il commence par affirmer que l'objectif zéro défaut est atteignable, et pour nous en convaincre, il cite deux exemples :
La validité de la norme zéro défaut étant supposée démontrée, Phil Crosby va alors nous expliquer comment faire pour l'atteindre. A le lire, c'est simple, il suffit de faire les choses correctement. Il y a toutefois un secret : ne pas croire un mot de ce que disent les professionnels de la qualité, lui-même mis à part, je suppose.
J'avoue que ce point me laisse un peu perplexe. On pourrait en conclure que si les intervenants travaillent parfaitement, le résultat sera parfait, CQFD. Or, il me semblait que le grand défi à relever dans la démarche qualité, c'est d'atteindre la qualité totale bien que les exécutants soient des humains, donc faillibles. Je pensais donc, dans ma grande naïveté, qu'il fallait mettre en place un ensemble de procédures (le plan qualité) qui fasse en sorte que les erreurs soient toutes détectées, corrigées, et si possible, dans l'avenir prévenues, afin que le produit fini soit sans défaut. Las, Phil Crosby n'a pas de mots assez durs pour condamner la notion même de procédure. Seuls les « principes », mot dont il ne donne pas une définition précise, trouvent grâce à ses yeux.
Dans la suite de l'article, beaucoup d'autres sujets sont abordés : nous apprendrons ainsi que Phil Crosby n'a pas une grande estime pour les labels ou les certifications qualité, ISO 9000, entre autres. Qu'il ne croit pas beaucoup au travail en équipe, ni d'ailleurs aux organisations, quelles qu'elles soient, à moins qu'elles ne soient petites et basées sur l'idée de projet. Que toutes les grandes sociétés sont appelées à disparaître, et c'est bien fait pour elles puisqu'elles n'ont pas suffisamment suivi ses conseils.
Et, point très important : que nous aurions tort de croire que les voitures bleues n'existent pas...
Michel STEIN
Photos de Jean-Marc MOTTE et Henri BADOUAL
Photos des archives de ROUEN (Jean-Claude LEFEBVRE)
(Journée de la Qualité, 17 juin 1988)