1- ÉGARONS NOUS UN INSTANT EN MONTAGNE : " L'ACONIT "
    Sautons près de 200 ans. En 1985, un groupe d'industriels et d'universitaires grenoblois s'inquiète de voir disparaître à vive allure les ordinateurs de la " grande époque " 1960-1970 (grande… par la taille des machines !). Ils créent l'ACONIT : Association pour un Conservatoire de l'Informatique et de la Télématique .
    Parmi les soutiens de l'association figuraient deux des principaux piliers de l'informatique française : François-Henri Raymond, patron de SEA qui fut la première société française à produire des " calculateurs électroniques " d'un très haut niveau technique et le professeur Jean Kuntzmann, fondateur de l'Institut de Mathématiques Appliquées de Grenoble, berceau de l'enseignement et de la recherche en informatique en France.
   Comme son nom l'indique, l'association n'est pas un musée (ou conservatoire) mais elle œuvre pour le créer… depuis près de 25 ans ! Un projet qui fait peur ? L'aconit est une fleur toxique !

2- CUEILLIR ET SAUVEGARDER
    La collection recueillie par ACONIT s'est formée autour de dons d'industriels grenoblois, auxquels se sont ajoutés très vite un fond collecté par une association lyonnaise, puis deux dépôts très importants de la Cité des Sciences et de l'Industrie de la Villette. Ensuite, au fil des ans sont arrivés des dons du CEA, du CHU de Grenoble, des universités et d'innombrables dons de particuliers correspondant souvent à des pièces très anciennes (une perforatrice de carte ICT des années 1950) ou très importantes (un IBM 1130 sauvé de la casse).


    À ce jour la collection des machines comprend environ 300 grosses pièces (plus de 1 m3) et 1400 petites pièces (perfo de cartes, perfo ruban, terminaux, mini et micro ordinateurs, modems…).
    L'inventaire est très en retard. Il enregistre (en octobre 2007) 1264 machines, 3122 documents
(notices, livres…) et 2431 logiciels, agrémentés de 1427 photos.
                           J'insiste : l'inventaire est très en retard. Les 1264 lignes d'inventaire-
                           
machine ne couvrent probablement que 30% de la collection… car un objet
                            représente une moyenne de 3 lignes d'inventaire, par exemple un boîtier
                            électronique, une alimentation et un clavier.

     Les pièces les plus anciennes datent des années 1930 (calcul mécanique) et fin des années 40 (mécanographie). L'ordinateur le plus ancien est un ICT 1400 (anglais) fabriqué vers 1954.
                            D'accord, le calcul ne fait pas partie de l'informatique, mais il en est l'une des
                             sources. Par contre, la mécanographie marque incontestablement le début de
                            l'informatique.

     ACONIT a obtenu le classement d'une machine à l'inventaire des monuments historiques : il s'agit d'un calculateur analogique à tubes électroniques SEA OME P2, qui avait été acheté vers 1962 par l'École d'Ingénieurs Électroniciens de Grenoble (devenue depuis ENSERG). Cette machine est la seule de ce genre connue en France aujourd'hui.



3- METTRE EN VALEUR
    Les statuts d 'ACONIT stipulent que l'association doit :
   - " Conserver le patrimoine matériel, logiciel, intellectuel et les savoir-faire constitués au cours de l'évolution de l'informatique, et le mettre à la disposition de tous. "
   - " Contribuer au développement et à la diffusion de la culture scientifique et technologique auprès du grand public. "
   - " Susciter et soutenir des recherches pluridisciplinaires pour mieux comprendre l'informatique et ses interactions avec la société. "
    Pratiquement, la mise en place du conservatoire est toujours en attente et l'association, par ses propres moyens, doit se contenter d'organiser des " réserves visitables ".
    Nous accueillons régulièrement des groupes (sur rendez-vous - 15 personnes maximum pour des questions de sécurité) mais aucune " muséographie " véritable n'est possible compte tenu de la surcharge des locaux.
    Par contre, nous avons participé à de nombreuses expositions en Rhône-Alpes à l'occasion de manifestations diverses. Quelques expositions itinérantes ont été développées (atelier mécanographique, mémoires d'hier et d'aujourd'hui…) et sont mises à disposition des collectivités.
    L'aspect " diffusion de la culture " a été développé de plusieurs façons :
  -Au niveau recherche, nous avons ouvert nos réserves à plusieurs étudiants et thésards.
  -ACONIT accueille régulièrement des stagiaires en électronique ou informatique. Cela représente pour nous une charge de travail importante mais nous tenons beaucoup à maintenir ce contact avec les jeunes étudiants.
  -Au niveau du grand public nous avons publié un livre " L'informatique " dans la collection " Des objets qui racontent l'histoire ". Il décrit les différentes étapes de l'informatique - et explique son évolution - en s'appuyant sur de nombreuses photos de la collection.
  -Pour les collèges, nous avons réalisé - avec l'appui de l'Éducation Nationale - une " mallette pédagogique " qui permet à des élèves de collège de découvrir les principes des mémoires (à roues, à trous, magnétiques, optique, à semi-conducteurs) à partir de maquettes et de manipulations simples.
  -Nous avons commencé la réalisation de vidéos dans 2 axes : démonstrations de fonctionnement et recueils de témoignages. Les premières réalisations concernent la calculatrice mécanique Brunsviga, le calculateur analogique SEA, le calculateur électronique Gamma 3, l'interview du professeur Bolliet. Viendront ensuite l'ordinateur IBM 1130, le PDP 9…



4- REANIMER LES CARCASSES
    Pendant plusieurs années, une équipe a mené des travaux de remise en état de certaines machines : une trieuse de cartes, un mini-ordinateur IBM 1130, un mini-ordinateur PDP 9 (il en resterait 11 au monde, celui d'ACONIT semble être le seul opérationnel)…
    Pourquoi remettre en route ces machines ? Nous savons bien qu'il ne s'agit jamais que d'une survie très provisoire, mais cela permet deux choses :
  -des démonstrations, et des enregistrements vidéos du fonction-nement,
  -la relecture de supports magnétiques anciens.
    Par exemple, dès que la remise en état du PDP 9 a été connue sur Internet, deux chercheurs anglais sont venus nous voir avec une valise de " DEC tapes " qu'ils ont pu relire et copier sur CD. De même nous avons depuis longtemps connecté un excellent lecteur de cartes à un PC.
     Une autre approche est la reconstitution des machines anciennes dans un circuit intégré moderne. Nous avons les dossiers d'origine de beaucoup de machines. Il faut re-coder la structure de l'ordinateur dans un langage de description logique moderne. Le résultat est gravé dans un boîtier programmable FPLA. Vous placez ainsi un PDP 8, IBM 1130, PDP 9 dans quelques cm2 . Le microprocesseur obtenu passe parfaitement les tests machine de son grand frère (grand frère ou grand-père ?).

5- VIE ET SURVIE D'UNE ASSOCIATION
    Combien de personnes pour animer tout cela ? Une petite association et une poignée de passionnés. Mais on trouve à ACONIT tous les métiers de l'informatique (construction et maintenance, opérateurs mécanographes et opérateurs ordinateurs, programmeurs, enseignants-chercheurs…) et toutes les époques depuis 1955. Il y a là de nombreux témoignages à recueillir !
    Très vite ACONIT a été reconnue et soutenue par la Conservation du Patrimoine de l'Isère. Le conservateur ne nous a jamais ménagé son soutien mais la CPI porte déjà sept musées industriels dans le département et ne pouvait financer seule un établissement de cette taille. La région Rhône-Alpes a fidèlement assuré au fil des années des financements sur projet, mais sans s'engager au delà (À la différence d'autres régions déjà très engagées dans la sauvegarde du patrimoine scientifique et technique).
     La ville de Grenoble s'est préoccupée de notre hébergement et de nos déménagements. Après de nombreuses difficultés, une convention quadripartite a été signée entre la ville, l'agglomération, le département et ACONIT. Les trois collectivités se partagent le loyer d'une ancienne imprimerie dans une arrière cour de Grenoble : 900 m2 sur 3 niveaux. Locaux bien adaptés à nos réserves (plus bureau et bibliothèques) mais déjà " pleins comme un œuf " .

6- OU L'ON RETROUVE LE CNAM-MUSEE DES ARTS ET METIERS…
    En 2004, l'horizon d'ACONIT était très sombre…Pas d'avenir visible, des menaces graves sur le logement et la collection.…
    En 2004 aussi, le CNAM-Musée des A&M sortait d'une longue période de surcharge et de travaux. Travaux visibles : la refonte des salles d'exposition, mais aussi travaux invisibles : création de nouveaux bâtiments de réserve, vidage et transfert des caves, création d'un nouvel inventaire informatisé. Le directeur constatait alors que le Musée avait laissé passer beaucoup de technologies modernes pendant près de 50 ans…
    Cette année 2004, par l'intermédiaire du Ministère de la Recherche, le Musée et ACONIT se sont enfin rencontrés. Le Musée y gagnait une expertise en informatique et la base d'une future collection nationale. ACONIT y gagnait - sinon un musée toujours sans financement -du moins un partenariat privilégié et une reconnaissance nationale.
    Cette année 2004 toujours, sous mandat de Claudie Hégneraie, ministre de la recherche, le Musée des A&M lançait un " projet national de sauvegarde du patrimoine scientifique et technique contemporain " (PSTC). Dans chaque région, une équipe est chargée d'inventorier les objets conservés dans les universités, centres de recherche, industries…


    Le but n'est pas de déplacer ces objets mais bien de les identifier et les marquer (encore que… bien souvent… l'inventaire se fait au pied de la benne et il faut d'urgence trouver un local de stockage !). Une base de données nationale recueille ces informations et un site web commence à mettre en valeur une partie de cet inventaire : http://www.patstec.fr
    Dans ce cadre, d'une part ACONIT continue sa mission propre, l'informatique, et assure l'expertise pour le compte des autres régions. D'autre part ACONIT fournit au chef de projet Rhône-Alpes les moyens techniques (base de données locale, photos, techniques d'inventaire…) pour assurer la mission auprès des universités et centres de recherche.

7- VIE ET SURVIE D'UNE ASSOCIATION - SUITE
    Aujourd'hui, le soutien du Musée des A&M nous permet de financer un poste de responsable collection et inventaire. Des aides diverses arrivent à financer une secrétaire à mi-temps. Le poste " médiation culturelle " avait été fermé fin 2006. Il va être pouvoir être rétabli en novembre 2007 dans le cadre " emploi tremplin ".
    Bien sûr, une association de ce type a besoin de moyens techniques. Un réseau local (Ethernet + WiFi) couvre l'ensemble du bâtiment, les postes des permanentes et les postes bibliothèques. Un serveur privé reçoit la base de données " de référence " et divers outils. Il est accessible via Internet à travers divers barrages. Un site web public http://www.aconit.org porte à la fois des informations permanentes (expositions mécanographie, pages d'histoire, vidéos…), un magazine irrégulièrement tenu à jour (base SPIP pour les connaisseurs) et une copie de la base de données inventaire accessible en mode " visiteurs " ou " experts " (sur demande).

8- " ET MAINTENANT, QUE VAIS-JE FAIRE… "
    Aujourd'hui le travail d'inventaire avance, les entretiens avec les pouvoirs publics se poursuivent, les contacts se multiplient à travers le réseau national PSTC. Mais les moyens matériels sont insuffisants pour la mise en valeur des collections et les moyens et compétences manquent pour la restauration et mise en valeur des logiciels .
                                               " Conserver un ordinateur sans logiciels,
                                                  c'est conserver un violon sans partitions… "


    Aujourd'hui, en Europe, la Grande Bretagne est en avance avec la " Computer Conservation Society " qui mène essentiellement un travail de recherche et de reconstruction de machines historiques (machine différentielle de Babbage, machine " Bomb "… ). Il y a plusieurs collections importantes (IBM en Belgique, Siemens en Allemagne…). À noter la collection Bull-CII montée par les anciens des différentes sociétés successives, regroupés dans la " Fédération des équipes Bull ". La FEB mène actuellement un travail remarquable sur l'histoire de leur groupe et et de leurs créations.
    On discute déjà d'un " réseau européen " du patrimoine informatique, mais encore faudrait-il qu'il existe en France une structure d'accueil officielle.
    Il y a place pour un conservatoire national de l'informatique en France. La collection ACONIT se singularise par son importance et sa bonne " couverture " des technologies et des époques, ainsi que par son fond documentaire et de logiciels. Le jour où ACONIT deviendra l'association des " Amis du Conservatoire de l'Informatique ", nous pourrons nous consacrer paisiblement au témoignage et à l'histoire


Philippe DENOYELLE
Responsable des moyens techniques de l'ACONIT

 

 

"Il sera formé à Paris, sous le nom de Conservatoire des Arts et Métiers, [...] un dépôt de machines, modèles, outils, dessins, descriptions et livres dans tous les genres d'arts et métiers (2)."
                                      Automne 1794 - Abbé Henri Grégoire

Qu'en est-il aujourd'hui ?