La
mise à feu de la charge militaire ne se fait pas toujours au moment
du contact entre la munition et la cible; la dispersion des trajectoires,
phénomène bien connu des militaires, est telle qu'un faible
pourcentage seulement des munitions rencontre la cible : le problème
est de récupérer au mieux les coups perdus. Par ailleurs, l'efficacité
de la charge peut être augmentée si la mise à feu est
faite à petite distance, en avant de la cible.
Très tôt, TRT s'est spécialisée
dans ces capteurs de proximité qui, dans un environnement très
sévère, utilisent les techniques* électroniques, magnétiques,
sismiques, optiques.
Contrairement à ce qu'on pourrait imaginer,
il n'est pas toujours plus facile de détecter un objet proche qu'un
objet éloigné car, si on ne prend pas de précautions,
on risque de se détecter soi-même.
En fait, il faut classer en trois familles différentes
ces dispositifs qui cherchent à optimiser le moment de la mise à
feu de la charge militaire : les fusées de proximité pour obus
(petits calibres), les fusées de proximité pour missiles et
les mines anti-char. A ces trois familles sont associés les noms de
Jean-Pierre TRANIN pour les mines et les fusées pour obus, Raymond
STRAUCH, Roland ALLÉZARD pour les fusées pour missiles, sans
oublier les artisans des antennes : Pierre BONNAVAL, Michel DOUSSOT et Yves
CANAL.
LES FUSÉES DE PROXIMITE POUR PETITS CALIBRES
Les fusées de proximité pour obus sont de véritables
petits radars travaillant en ondes métriques, placés à
la pointe de l'obus, alimentés par une pile amorçable sensibilisée
au moment du départ du coup. Le matériel électronique
et la sécurité mécanique doivent supporter l'accélération
de 20 000 g du départ.
En 1956, Jean-Pierre TRANIN dans le cadre de l'équipe
d'André DARFEUILLE (voir Servces de Production à Dreux) est
chargé de la francisation d'une fusée PHILIPS et de son adaptation
au canon de 105 mm français. Cette fusée à tubes, la
FR 55, fait l'objet d'une première commande par l'Armée de Terre
de 25 000 exemplaires.
Alors que cette fusée doit éclater à
la fin de la trajectoire balistique de l'obus à quelques mètres
au-dessus du sol, une variante (CA 127) est commandée par la Marine
en 1959, adaptée au tube de 127 mm de tir contre avion.
En 1962, TRT reçoit le contrat de développement
de la fusée pour le calibre 100 mm de la Marine. En 1967 commencera
l'étude de la transistorisation des fusées pour obus, ainsi
que la première version tempable (c'est-à-dire que l'utilisateur
peut sélectionner au moment de l'emploi un mode de fonctionnement plus
ou moins rapproché de la cible : fusant ou percutant).
En 1969, débute la production des fusées
transistorisées (CA100) pour le canon de 100 mm de la Marine Nationale.
C'est en 1973 qu'apparaît la première
commande de série de la fusée transistorisée FU RA F2
pour le 155 mm de l'Armée de Terre.
Les fabrications de série s'intensifient et
en 1975, TRT livre la 500 000 ème fusée pour obus.
Ensuite est entrepris le développement de la
fusée "banalisée" FU RA F3 équipée de
circuits hybrides et de microstructures. Le coût en série est
tel que l'utilisateur a intérêt à acheter cet unique modèle,
même s'il choisit d'utiliser son obus en mode percutant et non pas en
mode fusant. La production de série commencera en 1982.
En même temps, pour l'exportation, TRT étudie
et développe la fusée Minnie adaptable aux calibres de 122,130
et 152 mm.
En 1978, la fusée de 40 (FU40) étudiée
par PEAB/Bofors est mise en fabrication à Dreux au profit de la Suède,
tant la renommée de TRT est grande.
En 1983, la millionième fusée de proximité
pour petits calibres sortira de l'usine de Dreux.
Il est impossible de parler de fusées de proximité
sans évoquer le Centre Industriel de Dreux qui surprend les visiteurs
: une première fois par son architecture bourgeoise du début
du 19ème siècle, ensuite par sa localisation en plein centre
de la ville. Puis lorsqu'on le visite, chacun est convaincu de l'ingéniosité
ambiante qui débouche sur une efficacité remarquable des moyens
financiers mis en jeu. Enfin, ne peut-on être étonné que
TRT fabrique depuis toujours les piles de ses fusées ?
A noter que depuis 1985 TRT s'intéresse à
des dispositifs de mise à feu de charges formées à action
horizontale (MACPED).
LES FUSEES DE PROXIMITE POUR MISSILES
Qu'il soit Air-Air, Sol-Air, Air-Sol ou Sol-Sol, un
missile coûte toujours très cher. Le coup au but est rare. Aussi
dote-t-on les missiles de la fonction détection de proximité
qui augmente considérablement le volume apparent de la cible. Mais
deux remarques doivent être faites : d'une part, en tenant compte des
vitesses de la cible et du missile et de leur présentation relative,
le moment de la mise à feu de la charge militaire doit être choisi
avec précision, sinon celle-ci sera quasi inefficace. D'autre part,
la durée pendant laquelle le signal utile peut exister est très
courte, typiquement 1 à 3 millisecondes. C'est, avec les distances
de passage qui sont comprises entre 10 mètres et quelques décimètres,
le second point qui différencie considérablement la fusée
de proximité d'un radar.
Un missile qui explose prématurément
ne sert à rien ; un missile dont la charge militaire n'est pas mise
à feu exactement au passage de la cible est également perdu.
La fusée de proximité pour missiles est donc un radar dont la
probabilité de fonctionnement sur l'objectif doit être très
grande et la probabilité de fausse alarme très faible.
La fusée de proximité pour missile doit
être sensible latéralement et présenter une sensibilité
nulle dans le cône avant du missile (typiquement ± 60 degrés)
pour résister aux brouilleurs éloignés ou portés
par la cible. Le choix du diagramme de rayonnement de l'antenne est donc fondamental.
La fusée de proximité peut se trouver
à l'avant du missile (Roland, DAR) ou près de la charge militaire
vers le milieu du missile (engins Matra, Masurca, etc...)
En 1958, TRT avait choisi pour ses radioaltimètres,
de préférence aux impulsions, la modulation de fréquence
(FM-CW). Il était donc naturel que le choix soit le même pour
le fonctionnement des fusées de proximité. Rappelons le principe
du radar à FM-CW : le signal écho renvoyé par la cible
est comparé au signal émis en permanence, mais dont la fréquence
change continuellement dans le temps. La fréquence du signal de battement
est fonction de la distance missile-cible. En absence de cible, il n'y a pas
de signal de battement. Plus l'excursion de fréquence est grande, plus
la mesure est précise. L'usage d'une bande de fréquence élevée
présente un double intérêt : elle facilite, dans une certaine
mesure, les grandes excursions de fréquence et, à dimensions
égales des antennes, permet l'obtention de lobes de rayonnement plus
étroits qui favorisent la concentration de l'énergie sur la
cible et la précision de l'époque de la mise à feu. Mais
le pouvoir réfléchissant de la pluie croît rapidement
avec la fréquence. Finalement, le compromis retenu a conduit à
l'usage d'ondes centimètriques, la source hyperfréquence étant
constituée par un klystron.
En 1959 commence la première étude d'une
fusée de proximité PJD pour le missile air-air Matra 530 : les
essais en vol porté ont lieu en 1960 et le premier tir à Colomb-Béchar
en 1961. A la même époque, TRT est chargée de l'étude
de la fusée de proximité pour le missile MASURCA (Marine Surface
Contre Avion).
En effet, TRT a un atout majeur dans les mains car
elle dispose d'antennes (guide rayonnant à fente unique) plates (plaquées
sur le missile 530 ou encastrées dans le MASURCA), inventées
par Pierre BONNAVAL et Raymond STRAUCH, dont les propriétés
sont extrêmement intéressantes : épaisseur et inclinaison
du diagramme de révolution à la disposition de l'utilisateur,
largeur de bande considérable, lobes secondaires très faibles,
découplage très important entre antennes même placées
côte à côte (donc entre l'émission et la réception).
Il faut noter que ces antennes sans réglages ont fait l'objet d'une
étude théorique complète qui permet de prévoir
à quelques pour cents près la forme exacte du lobe de rayonnement.
La Marine américaine qui a utilisé abondamment des antennes
de ce type avait passé à TRT un contrat d'étude pour
approfondir les propriétés de cette famille d'antennes, dont
la plus petite utilisée mesurait 4 cm et la plus grande 3 mètres
(plus de 10 000 exemplaires fabriqués).
La PJE2 sera industrialisée en 1963 (fusée
à tubes et klystron de 250 mW). Puis viendra la PJE3 transistorisée,
avec cependant un klystron, qui équipera en série le MATRA 530,
le MASURCA et le MD 620 et qui sera fabriquée en 5 000 exemplaires.
Pour le très important programme de l'arme
atomique, TRT avait entrepris en 1961 l'étude du Déclencheur
Altimétrique Radioélectrique (DAR 22), équipé
de deux klystrons, d'un faisceau d'antennes et d'importants dispositifs d'anti-brouillage.
Après des essais de vol sur B 26 et sur Mirage 3, le premier largage
eut lieu en Mars 1963 à Colomb-Béchar. Une version pour vitesse
subsonique fut également étudiée et essayée en
1966.
En 1967 commençait pour le missile ROLAND l'essai
d'une fusée transistorisée fonctionnant à 3 GHz dont
l'étude avait débuté en 1964. Après industrialisation,
elle fut réalisée à près de 25 000 exemplaires.
Deux versions en furent dérivées, l'une pour le missile MATRA
MAGIC, l'autre pour le missile ROLF. Elle fut fabriquée en 1977 aux
USA par Hugues AIRCRAFT après l'adoption du ROLAND par les Forces Armées
US.
Plus récemment, en 1982, fut entreprise l'étude
d'une fusée entièrement transistorisée et très
sophistiquée destinée aux missiles MICA et ASTER.
LES MINES ANTI-CHAR
En 1972 une petite société, le CRIF,
qui avait des difficultés à industrialiser et à produire
en série une mine anti-char qu'elle avait étudié, céda
son activité à TRT qui, trois ans après, produisit en
série la mine à Haute Puissance de Destruction HPD1 dont le
senseur enterré détecte et identifie le véhicule à
détruire et met à feu en temps utile la charge militaire. Ce
capteur utilise le principe du double effet simultané (sismique par
ébranlement du sol et magnétique par variation du champ terrestre)
dû à la présence d'un char. Cette mine sera fabriquée
à plus de 165 000 exemplaires.
Mais dès 1978 vient l'idée d'un capteur
magnétique actif dont le développement durera de 80 à
85 pour aboutir à la production en série de l'HPD2 en 87. Cette
mine est la première "arme intelligente" étudiée
à TRT, puisqu'elle est capable de trier les véhicules, de compter
les essieux, de résister aux contre-mesures,...
Il faut remarquer qu'en développant les fusées
de proximité pour petits calibres et les mines anti-char, TRT acquérait
un savoir-faire original pour une société de télécommunications
: la maîtrise totale de la sécurité de dispositifs pyrotechniques
explosifs, un sens très aigu de l'analyse de la valeur et du coût
du moindre élément construit ou acheté, les techniques
pour fabriquer en très grandes quantités des matériels
quasi-indépannables, puisque leur mise en service entraîne leur
destruction, mais aptes à rester en magasin sans se détériorer
pendant de longues années.
AUTRE MATERIEL
Bien que n'ayant pas connu de développement
industriel, il faut mentionner l'étude du guidage du missile SABA (Sol
Air Basse Altitude) en 1958, ancêtre du ROLAND, ainsi qu'en 1959 l'étude
d'une fusée de proximité optique destinée au missile
filoguidé SS11.