Ayant appris que la « Commission Loisirs » de l’Amicale avait organisé « l’inspection » de la Cour des Comptes, la SNCF, qui est soumise à son contrôle, s’est mise en grève et le thermomètre incontrôlable, lui, a exceptionnellement chuté.
Mais il en faut plus pour décourager nos vaillants et compétents retraités, tous certifiés ISO 9000, spécialistes du contrôle qualité et du contrôle de gestion, et du self-control pour en savoir plus sur l’utilisation des fonds publics : c’est à dire nos « sous ».
Nous sommes 38 au rendez-vous, rue Cambon, entre les deux vénérables Maisons aux célèbres initiales: C-C (Cour des Comptes et Coco Channel), devant l’église dite « des Polonais ». Celle-ci a appartenu à l’ancien couvent des Dames de l’Assomption, sur l’emplacement duquel a été construit de 1897 à 1910 le Palais Cambon qui abrite depuis 1912 la Cour des Comptes.
Nous sommes attendus à 10 h par nos Cicérones et néanmoins Magistrats à la cour : Michel-Pierre Prat et son assistant Cyril Janvier. Michel-Pierre est Président de la Chambre Régionale des Comptes Rhône-Alpes et ancien Secrétaire Général de la Cour des Comptes. Autant vous dire qu’il connaît son sujet et sait le présenter avec humour et simplicité. De plus, il a fait ses classes dans les années 70 à TRT au labo TRA comme ingénieur. Il en est parti dans les années 80 pour faire l’ENA et devenir magistrat à la Cour des Comptes. C’est en tant que « jeune » magistrat instructeur qu’il a eu à contrôler l’ARC et, fait exceptionnel pour l’époque, à provoquer la mise en examen son président.
Passant à travers un dédale de couloirs moelleusement moquettés, aux doubles portes capitonnées et dans un silence feutré, nous avons rejoint une salle de réunion pour une présentation du programme et un rappel de l’histoire de la Cour. Ensuite nous nous sommes séparés en deux groupes pour la visite du Palais Cambon.
Je suis dans celui de Michel-Pierre qui, lorsqu’il était Secrétaire général, a participé à la restauration et au remaniement des locaux, cette visite a donc été agréablement illustrée d’anecdotes liées aux différentes pièces du Palais.
Après la visite nous nous sommes retrouvés dans la salle de réunion pour un exposé, sur l’organisation, les missions et l’évolution de la Cour. Celui-ci a été présenté avec talent et humour, par Michel-Pierre et toujours illustré d’exemples et d’anecdotes vécus. Cyril avait même apporté sa robe de magistrat dont la qualité du tissu s’enrichit lorsque le magistrat prend du galon, ainsi que le fameux « mortier », chapeau noir et rond, rappelant cet ustensile, dont seul le Président se coiffe lors de la cérémonie d’ouverture. Sinon il est tenu à la main ou posé sur la table.
Ici l’histoire et la tradition régissent le présent et se projettent dans l’avenir : tout est respect, retenue, pondération, consensus, collégialité et rigueur.
Cette visite « hors du temps » ne nous a pas laissés indifférents. Il est déjà presque 13 h quand notre Président remercie sincèrement et chaleureusement nos amis de nous avoir fait découvrir ce Palais chargé d’histoire, cet organisme « atypique », à la fois juge et conseil au service du législatif et de l’exécutif, une « Institution » au sens profond du terme.
Pour ne pas être trop long sur ce que nous avons vu et appris, je résume ici les grandes dates et les grandes lignes de la Cour des Comptes.
Au Moyen-Âge, la Cour est issue de la « Curia Regis » (Cour du Roi) qui siégeait dans la résidence du souverain et contrôlait les dépenses et recettes du royaume, c’est à dire « la cassette » du roi. Une ordonnance de Philippe Auguste de 1190 mentionne la procédure de reddition des comptes publics au Roi en sa Cour.
En 1256, Saint Louis, confirme le rôle des « Gens des Comptes », qui s’installent dès 1303 en « Camera Computorum » (Chambre des Comptes) au sein du Palais de Justice.
La première Chambre Royale distincte est fixée par ordonnance de Philippe V Le Long (1318-1320). Plus tard d’autres chambres sont instituées en province pour contrôler entre autres les « Fermiers généraux ».
Durant le XVe siècle, la Chambre des Comptes va devenir l’organe le plus important de la monarchie après le Conseil du Roi. En 1467, Louis XI décrète l’inamovibilité des Juges des comptes.
Au XVIe siècle, le prestige de la Chambre des Comptes de Paris diminue à cause de la perte des Finances Extraordinaires (impôts), gardant seulement la juridiction sur les « Comptables du royaume ».
A la Révolution les Chambres des Comptes sont supprimées car les juges sont suspectés d’appartenir à l’ancien régime et de freiner les réformes. En 1791, c’est l’Assemblée Constituante qui réserve au Corps législatif le soin de régler les comptes de la Nation.
A son tour, le Directoire sépare les « Commissaires de la comptabilité nationale » du Corps législatif pour les replacer auprès du pouvoir exécutif.
En 1807, Napoléon décide de reconstituer une juridiction financière de conception centralisée et unique « La Cour des Comptes » et de l’installer dans le Palais de l’ancienne Chambre des Comptes de Paris construit par Gabriel, près de la Sainte Chapelle.
Elle se déplacera au Palais d’Orsay qui sera incendié sous la Commune. Elle transitera alors par le Palais Royal puis le Louvres pour s’établir définitivement en 1912, au Palais Cambon, construit par Constant Moyaux entre 1898 et 1911.
Il faut attendre 1977 pour voir apparaître les « Chambres des Comptes » dans les régions. Depuis les missions de la Cour se sont considérablement élargies. Elle a développé un contrôle de la gestion afin de veiller au bon emploi de l’argent public.
Elle s’est vu confier le contrôle des entreprises nationalisées et de la Sécurité Sociale, des entreprises ou associations recevant des subventions publiques ou dons défiscalisables.
A partir de 2001, elle est chargée d’évaluer les performances des programmes budgétaires et de certifier les comptes de la Sécurité Sociale.
En 2008, lors de la révision constitutionnelle, l’Article 47-2 précise qu’elle assiste le Parlement et le Gouvernement dans le contrôle de l’exécution des lois de finances et dans l’évaluation des politiques publiques. Par ses rapports publics elle contribue à l’information des citoyens selon l’Article 15 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen : « La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration »
Visite du Palais
L’escalier d’honneur : de style François Mansart, rampe en fer forgé et cuivre ornée d’une boule de marbre bleu, le tout dominé par un tableau de Napoléon 1er en costume de sacre, de G. Devillers, élève de David, acquis en vente publique en 2007.
Le bureau du Premier Président, visité grâce à la complicité de l’huissière de service et en l’absence momentanée de Philippe Seguin (coincé dans le RER par la grève ?). C’est un bureau bibliothèque très confortable avec aux murs des oeuvres d’art : une tapisserie contemporaine « La grand-mère kabyle » d’après Rachid Khimoune (tapis de la Savonnerie), ainsi que le portait de François de Barbé-Marbois premier Président de la Cour des Comptes (1808-1834).
Le palier du 2è étage au plafond, peint en 1911 par Gervex, une allégorie sur le pouvoir et la justice et sur la continuité entre le passé et le présent.
La Grand’chambre, plafond à caissons, murs de boiseries et tapisseries, porte encadrée de deux colonnes corinthiennes, surmontée d’un fronton et de deux sculptures : la connaissance (le livre) et la justice (le glaive). Alors qu’il était Secrétaire général, notre ami Michel-Pierre fit rajouter un bandeau avec l’article 15 des droits de l’homme et du citoyen, cité plus haut.
Le cercle des magistrats à l’ambiance feutrée, tapissé de livres, fauteuils de cuir havane et bar dégageant une agréable odeur de café.
La bibliothèque, salle de lecture, au plafond à caissons dorés décorés du blason des villes dont les comptes étaient jugés par la cour.
La galerie aux boiseries dessinées par l’architecte Constant Moyaux comporte deux escaliers en colimaçon menant à un balcon mezzanine couvert de livres. Le tout est dominé par un plafond- voûte décoré d’une fresque de chiffres et symboles mathématiques réalisée par Bernard Vernet en 2007 à l’occasion du bicentenaire de la Cour.
La Chambre des Délibérations (il y en a trois), grande table et maroquin de cuir, tentures et peintures. Lieu de réunion d’un nombre impair de magistrats, dont le président de chambre, pour délibérer sur les rapports présentés par le magistrat instructeur. Votes se faisant à la majorité, les décisions de la chambre étant contradictoires, collégiales et définitives.
Les bureaux des magistrats, de petite taille, appelés « cabinets », disposent d’un lave-mains, en effet le magistrat y défait les liasses poussiéreuses des dossiers que lui envoient les administrations et organismes contrôlés. L’instruction basée sur la « preuve » est limitée à huit mois, passé ce délai elle est abandonnée. Le magistrat est indépendant et mène seul son enquête.
Pour les besoins de l’archivage, un bâtiment en béton à l’architecture des années 30, appelé « Chicago », a été construit en mitoyenneté avec le Palais.
650 membres pour un budget de 200 Millions d’Euros.
La Cour comprend :
- Sept Chambres spécialisées, une quarantaine de magistrats, rapporteurs, experts… La Cour travaille en étroite collaboration avec les Chambres régionales et territoriales des comptes.
- Le Parquet général près la Cour des Comptes.
- Trois institutions associées : La Cour de discipline budgétaire et financière, le Conseil des prélèvements obligatoires, la Commission permanente de contrôle des sociétés de perception et de répartition des droits.
Les missions
La Cour des comptes veille à la régularité, l’efficience et l’efficacité de l’usage des fonds publics. Elle a trois interlocuteurs : le Gouvernement, le Parlement et le Citoyen qu’elle informe par des publications toujours plus nombreuses.
1° La Cour, juge les comptes des comptables publics.
2° Elle contrôle la gestion et le bon emploi des fonds publics: conformité au droit, efficience et efficacité.
3° Elle évalue les politiques publiques: Etat, Etablissements et Entreprises publics, Organismes de droit privé, ceux faisant appel à la générosité publique et la Sécurité sociale.
4° Elle certifie les comptes de l’Etat et de la Sécurité sociale.
De par sa compétence, la Cour a aussi des activités internationales comme par exemple: Commissaire aux Comptes de l’ONU, d’INTERPOL, de l’UNESCO , de l’OTAN…..
Texte de Jean-François RODOLFO
Photos de Jean-Yves AUCLAIR